Wallenstein, le simple noble, devenu général de la plus grande armée du XVIIe siècle
À l'origine, rien ne prédestinait ce petit noble venu de Hermanice, alors en Bohème dans le Saint-Empire romain germanique (aujourd'hui au nord de la Tchéquie), à jouer un rôle aussi important dans l'histoire de l'Europe du XVIIe siècle. Né dans une petite famille de nobles protestants, possédant peu de terres et seulement une centaine de paysans, le jeune Albrecht reçoit une éducation noble : il apprend le latin, l'italien en plus de l'allemand et étudie à l'université, d'abord en Allemagne, puis en Italie.
Il s'engage ensuite dans les troupes impériales pour combattre les Ottomans en 1604-1605. Il s'y fait remarquer et devient l'un des officiers de l'armée du Saint-Empire romain germanique.
Par opportunisme politique, il se convertit au catholicisme et épouse Lucrèce de Vickow, issue d'une des familles les plus riches de l'actuelle Tchéquie. Plusieurs sources indiquent que cette conversion n'avait pour but que l'acquisition de l'héritage et des terres de son épouse. En témoignent le fait qu'il n'ait jamais demandé à ses sujets de se convertir à sa religion et les nombreux indices laissant penser qu'il continua à pratiquer le protestantisme dans l'intimité.
Désormais riche, il emploie sa fortune à recruter des régiments de soldats pour l'empereur Ferdinand II, afin de soutenir ses guerres. Lors de la révolte de Bohème (1618-1620), en tant que sujet bohémien, il doit choisir son camp. Il rejoint les armées de l'Empereur, à raison, car ce dernier l'emporte lors de la bataille de la Montagne Blanche. Il est alors récompensé pour sa fidélité : il devient commandant des troupes impériales, reçoit plusieurs vastes seigneuries et est nommé duc de Friedland par l'Empereur.
En 1625, il met sur pied, avec ses propres deniers (l'Empereur devant ensuite le rembourser), la plus grande armée de son temps. Celle-ci atteint alors un nombre inégalé pour l'époque : 150 000 hommes. Fort de son succès, il se fait conférer le titre de "généralissime" par l'Empereur. Cette armée, pour se nourrir, pille les ressources des vaincus et des terres occupées.
Il devient alors le grand chef de guerre du début de la guerre de Trente Ans (1618-1648). Avec son armée, il écrase les révoltes du souverain du Palatinat, vainc l'armée du Danemark et stoppe l'invasion de l'Allemagne par le roi de Suède, Gustave-Adolphe, à Munich en 1632.
L'Empereur, craignant la montée en puissance de son général et face aux rumeurs selon lesquelles celui-ci aspirait à prendre le trône, le condamne à mort en 1634, ordonnant à tous ses sujets de l'arrêter, mort ou vif. Le 25 février 1634, Wallenstein est assassiné dans la ville de Cheb, en Bohême, par ses propres compagnons. Ses terres sont confisquées et redistribuées entre ses assassins.
S'il est incontestablement l'une des figures clés de la première moitié de la guerre de Trente Ans, il incarne également les atrocités commises au cours de ce conflit. Pour beaucoup d'historiens, en termes de morts, de destructions de villes, de profanations religieuses et de violences sur les civils, cette guerre a eu, en Allemagne et en Europe, des conséquences comparables à celles de la Première Guerre mondiale. Wallenstein y a contribué, notamment en laissant ses troupes piller les territoires conquis. Cependant, il reste un homme de son époque. Contrairement à d'autres généraux de l'armée impériale, comme le comte Tilly, des témoignages montrent qu'il se montrait plus clément envers les vaincus et veillait au comportement de ses hommes.
Le mythe de Wallenstein fut alimenté par ses victoires, son ascension extraordinaire et sa mort tragique et violente. Dès son époque, il fut encensé par de nombreux auteurs, dont Richelieu, qui le décrit dans ses mémoires comme le grand homme de son siècle. Son héritier, le cardinal Mazarin, dira au jeune Louis XIV que le meilleur exemple d'homme militaire à suivre était le général Wallenstein.
Au XVIIIe siècle, Voltaire en fait également un modèle, mais c'est surtout Schiller, dans sa trilogie, qui le hisse au rang des grands héros allemands, assurant ainsi son entrée dans la mémoire nationale.
Le nom de Wallenstein sera terni par l'une des divisions SS durant la Seconde Guerre mondiale, qui adoptera son nom comme celui de son régiment. Aujourd'hui, il reste une figure importante de l'histoire allemande, bien que moins célébrée. Comme de nombreuses figures de Bohême, son héritage allemand est contesté par les Tchèques. Ce n'est pas un hasard si aujourd'hui le Parlement de Tchéquie à Prague siège dans l'ancien palais du "généralissime" de l'Empereur.
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