Depuis très longtemps, je m’intéresse à la période du Troisième Reich, je lis régulièrement sur le sujet et j’essaye de me tenir au courant des avancées historiographiques dans ce domaine. Dans mes recherches, je croise depuis quelque temps le nom de Felix Kersten, le masseur d’Himmler, d’abord en libraire par la parution d’une bande dessinée, puis par la sortie d’une biographie écrite par un historien et plus récemment par une vidéo YouTube.
Le point commun de ces œuvres, c’est qu’elles brossent toutes un projet dithyrambique de cet homme qui a été un des plus proches, voire le plus proche d’Himmler, le principal metteur en œuvre de la Shoah. Mes quelques recherches sur ce personnage m’ont toujours laissé entrevoir une vision très positive de l’homme en France et une vision nuancée, voire très négative, sur ce sujet dans d’autres pays. Je vous invite par exemple à faire quelque chose de simple : en comparant les pages wikipédias en différentes langues portant sur Felix Kersten, on a le sentiment de découvrir différentes personnes, comme si Felix Kersten avait eu des jumeaux. Ces dernières semaines, mes lectures m’ont convaincu qu’il était temps d’écrire un article en langue française sur le sujet.
Alors Felix Kersten, nouveau « Oskar Schindler oublié par les historiens » ou alors un « nazi comme un autre »?
I – La vie de Felix Kersten telle qu’elle nous a été racontée depuis 1945.
La vie de Felix Kersten pour un francophone nous est principalement connue par les notices Wikipedia, dans les journaux, les vidéos YouTube et la biographie de François Kersaudy et par le livre de Joseph Kessel sur le masseur d’Himmler Les mains du miracle et par sa propre autobiographie. Je vais donc, dans un premier temps, vous présenter la vie de Kersten, telle qu’elle est aujourd’hui le plus communément décrite par la majorité de la presse et les personnes s’intéressant à son sujet en France.
Felix Kersten est né le 30 septembre 1898 à Vyborg, en Finlande, qui faisait alors partie de l'Empire russe. Il a étudié la médecine et est devenu un thérapeute et masseur qualifié, après avoir, selon de nombreux témoins, soulagé de nombreux soldats dans un hôpital militaire. Ses compétences en thérapie physique l'ont amené à travailler avec divers patients, notamment ceux souffrant de douleurs musculaires et articulaires. Il s’installe aux Pays-Bas où il devient le soigneur de nombreux riches clients et même de la famille royale néerlandaise.
En 1939, Kersten rencontre Heinrich Himmler, le chef de la SS et l'une des figures les plus puissantes du régime nazi, à la suite des problèmes de santé de ce dernier. Kersten devient rapidement le médecin personnel d'Himmler, traitant ses problèmes de santé, y compris des douleurs stomacales sévères. Selon Felix Kersten, il ne voulait pas travailler pour le chef de la SS, mais il a été convaincu par de nombreux amis qu’ils pourraient agir de l’intérieur contre le régime nazi. Au fil des séances, Himmler est enchanté par les séances prodiguées par le masseur finlandais et lui demande de le suivre dans la plupart de ses déplacements, même quand il doit se rendre visiter des camps de concentration ou de mise à mort. Une relation de confiance rarement accordée par le responsable des SS même à sa famille. Comme le dit l’historien Peter Longerich dans sa biographie d’Himmler, à partir de 1939, il est impossible d’étudier la vie de Himmler sans croiser le nom de Felix Kersten.
Kersten utilise sa position de médecin pour gagner la confiance d'Himmler et influencer ses décisions. Il plaide en faveur de mesures humanitaires, telles que la libération de prisonniers politiques et de personnes juives des camps de concentration nazis. Sa proximité avec Himmler lui permet de négocier des accords qui sauvent des vies. Il aurait pendant cette période là été en contact avec la résistance néerlandaise et suédoise et fait passer de nombreuses informations sur la Shoah, sur l’état de santé d’Hitler. Des informations qui, selon lui, malheureusement, n’auraient pas été prises au sérieux. Il aurait convaincu Himmler de sauver la vie de nombreux Juifs et de ne pas faire sauter à la fin de la guerre les camps de concentration et de mise à mort.
Ainsi, selon Felix Kersten, il utilise ses talents de négociateur pour aider à sauver de nombreuses vies pendant la Seconde Guerre mondiale. Il intervient pour obtenir la libération de personnes menacées par les nazis, y compris des personnalités politiques et des membres de la Résistance.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Kersten est interrogé par les autorités alliées sur ses activités pendant la guerre. Son rôle dans la sauvegarde de vies lui vaut une certaine reconnaissance et lui permet d'éviter d'être inquiété pour collaboration avec les nazis.
Il reçoit de nombreuses décorations dans de nombreux pays pour ses actions de résistance. La Suède, pour le remercier, lui accorde la nationalité suédoise. Il raconte sa vie au journaliste Joseph Kessel pour en faire un roman. Ce dernier devient rapidement un best-seller dans le monde entier. Dans la période d'après-guerre, Kersten se vantait de ces actes héroïques et fut comblée d'honneurs. Les historiens ont salué ses mémoires comme des documents particulièrement instructifs pour comprendre la machinerie nazie de l’intérieur, selon François Kersaudy.
Fin de vie : Après la guerre, Kersten s'installe en Suède, où il continue à pratiquer la médecine et à écrire sur son expérience pendant la guerre. Il meurt le 16 avril 1960 à Stockholm, en Suède. Aujourd’hui, son fils partage et continue de défendre sa mémoire. De nombreuses personnes aujourd’hui souhaitent qu’on lui rende hommage, comme on l’a fait pour Oskar Schindler.
Partie II : Kersten le menteur
Si dans les années 50 et 60, Felix Kersten est pour beaucoup un héros de la période nazie, l’évolution de l’historiographie et les travaux de chercheurs vont venir remettre en cause l’image idyllique du médecin personnel d’Himmler qui aurait œuvré en secret pour la résistance et pour sauver des vies humaines. Un portrait plus contrasté va alors voir le jour.
Le premier à vraiment s’intéresser aux zones d’ombres de la vie de Félix Kersten est l’historien Louis De Jong. Il constate les premières contradictions dans la vie du masseur en 1972. Le Néerlandais découvre ainsi pendant ses recherches de nombreuses fausses preuves fabriquées par Felix Kersten. Ce n'était que le début d'une réévaluation des souvenirs et des documents de Kersten. Bientôt, d’autres chercheurs ont découvert d’autres faux. À chaque mensonge découvert, le rôle de Kersten aux côtés de Himmler devient plus opaque et sombre.
Même la partie largement incontestée de son CV est curieuse : né en 1898 en tant que Baltique d'origine allemande en Estonie, Kersten est devenu Finlandais après les troubles de la Première Guerre mondiale, puis a déménagé en Allemagne et plus tard aux Pays-Bas. Certains historiens pensent même qu’il a changé son nom pour maquiller un meurtre qu’il aurait commis entre 1925 et 1930. Par hasard, il a ensuite réalisé des progrès considérables en tant que physiothérapeute vers la vingtaine. Bientôt, il masse les aristocrates et soigne les grands industriels avec sa thérapie manuelle. Le responsable nazi était émerveillé par les compétences du masseur : à chaque traitement, la confiance de Himmler envers Kersten grandissait, les conversations devenaient plus personnelles à mesure que le Finlandais pétrissait le ventre douloureux du meurtrier de masse. Il a finalement appelé son médecin « mon Bouddha magique » et l’a bientôt vu presque tous les jours. Jusqu’à présent, c’est incontesté. Le problème : personne ne sait vraiment sur quoi portaient ces conversations d’une heure. Car à part les notes de Kersten, on n'en sait rien : « Reste à savoir si Kersten a imaginé ces conversations après la fin de la guerre », écrit l'historien et biographe de Himmler Peter Longerich. Ce qui est incontestable, c'est que l'intelligent médecin a utilisé la confiance de Himmler pour sauver les prisonniers et les persécutés : pendant qu'il pompait l'estomac du chef SS, Kersten l'obligeait régulièrement à libérer ceux qui étaient condamnés à mourir.
Ce troc a réellement démarré en prévision de la défaite imminente de la guerre, lorsque Himmler voulait, à partir de 1944, s'attirer les bonnes grâces des futurs vainqueurs par des actes de miséricorde : selon Joseph Kessel, Kersten avait déjà commencé à user régulièrement de son influence sur Himmler. en 1942 : il pressa à plusieurs reprises les prisonniers des camps de concentration, élabora même ses propres plans de paix lors de discussions secrètes avec un agent américain en 1943 et empêcha finalement l'explosion des camps de concentration allemands au cours de la dernière année de la guerre.
Kersten affirme avoir accompli son plus grand acte héroïque des années auparavant. Au printemps 1941, affirme-t-il, il persuada Himmler d’encourager Hitler à mettre en œuvre un plan fou : la déportation de l’ensemble du peuple néerlandais vers l’Europe de l’Est occupée. Si l’on en croit Kersten, les Pays-Bas dépeuplés deviendraient une « province SS » sous la direction du « commissaire à la réinstallation » Himmler. Si l’on en croit Kersten, le dictateur avait initialement voulu annoncer ce plan le jour de son 52e anniversaire en avril 1941 – ce que Hitler a décidé de ne pas faire après son intervention. Et si l’on en croit Kersten, son intervention a également empêché l’explosion de La Haye, de la forteresse néerlandaise de Clingendael et de l’Afsluitdijk de la mer du Nord.
Après la guerre, la première pierre de la légende hollandaise a été posée par une commission d’historiens néerlandaise censée examiner toutes les affirmations. Le professeur d'histoire Nicolaas Posthumus arrivait à une conclusion claire en 1950 : les déclarations du Finlandais étaient sans exception vraies, Kersten était un « sauveur humain et un bienfaiteur du plus grand calibre » et : « Le travail de Kersten mérite notre admiration ». Un peu plus tard, l'historien britannique Hugh Trevor-Roper, qui était également censé confirmer l'authenticité des journaux d'Hitler au début des années 1980, témoigna également de cette histoire héroïque : dans l'avant-propos des Mémoires de Kersten en 1956, il louait son « œuvre gigantesque ». Comme un brillant exemple d'humanité. Le coup du masseur était parfait. Parce que la gratitude des personnes soi-disant sauvées était grande : en août 1950, la reine des Pays-Bas nomma Kersten grand officier de « l'Ordre d'Orange-Nassau » - l'une des plus hautes distinctions du pays. Trois ans plus tard, le Gouvernement de Stockholm a remercié Kersten pour son courage en lui accordant la citoyenneté suédoise. Pendant la guerre, les Finlandais avaient élevé leur compatriote au rang de conseiller médical et de commandant du vénérable Ordre de la « Rose Blanche ». Les Néerlandais furent tellement émus par l'héroïsme de Kersten que le gouvernement le nomma quatre fois pour le Prix Nobel de la paix.
Mais la renommée gigantesque du héros populaire a également suscité des sceptiques, comme Louis de Jong. Lorsqu'il a examiné les documents sur l'affaire Kersten, il est arrivé à une conclusion explosive : le sauvetage des Pays-Bas était une invention du soi-disant sauveur, dont il a qualifié le prétendu témoignage de « pièces manifestement fantasmées ». Et les choses sont devenues encore pires : en 1978, le chercheur nazi Gerald Fleming a également reconnu Kersten comme imposteur grâce à une analyse complexe en laboratoire : selon Fleming, le Finlandais avait falsifié une lettre et l'avait ensuite ajoutée à ses rapports comme preuve en 1953 afin de se mettre sous un jour encore meilleur. Le résultat des deux études : bien que Kersten ait joué un rôle clé dans la libération de milliers de prisonniers des camps de concentration, il n’a jamais sauvé à lui seul les Pays-Bas. C'était un héros - et un menteur audacieux. Parce qu’une grande partie des preuves » consistait en notes et lettres personnelles de Kersten, qu’il n’a peut-être écrites qu’après la guerre. Il était également remarquable que Kersten ait publié cinq versions différentes de ses Mémoires. L'édition néerlandaise, par exemple, omettait des passages entiers et nombre de ses déclarations contredisent des faits historiquement vérifiables : une fois Kersten affirmait avoir été avec Himmler des jours où le chef SS n'était même pas là, une autre fois le médecin personnel pensait que les conversations étaient complètes.
Kersten, dans ses mémoires, affirme avoir sauvé un SS, Alois Miedl, qui travaillait pour la résistance. Or les historiens ont aujourd’hui montré qu’il n’existe aucun document des SS ou de la police néerlandaise sur une enquête sur Miedl, personne dans la résistance néerlandaise ne pense que Miedl en faisait partie et surtout Alois Miedl n’était pas n’importe qui. Il s’agissait d’un collectionneur d’œuvres d’art qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, s’est procuré de nombreuses œuvres spoliées aux juifs pour les revendre aux grands pontes du régime nazi, dont notamment Himmler. On sait que Kersten a également acquis une toile via Alois Miedl. Cela montre une fois de plus le mensonge de Kersten, mais aussi comment ce dernier, après la guerre, en s’appuyant sur son histoire, a essayé de sauver de nombreux nazis de la mort ou de la prison avec des fausses histoires et en faisant passer les pires SS en des résistants.
On pourrait faire une liste de Proust, des contrefaçons et des sauvetages inventés par Kersten, tellement ils sont nombreux quand on lit son autobiographie et ses correspondances.
Partie III : la vidéo YouTube et l’historien
Mais avant de commencer, il faut revenir sur le livre de Joseph Kessel qui est toujours la référence en France sur le sujet et qui est toujours très bien vendu. La preuve, il est numéro un des ventes sur Amazon et sur la Fnac sur le sujet.
En mars 2024, le youtubeur Fabien Olicard a publié une vidéo sur Félix Kersten. Celle-ci a pour source, la page française de Wikipédia sur le masseur d’Himmler sur biographie de Kersten de François Kersaudy. Or la page Wikipédia française s’appuie principalement, voire uniquement, sur François Kersaudy. Le premier problème de cette vidéo selon moi est l’usage de l'intelligence artificielle pour montrer des scènes dont on ne sait rien, où personne n’était là, ou n’a le témoignage que d’une seule personne. Cela montre Himmler d’une façon qui était très éloignée de la réalité, par rapport à ce qu’on connaît de la vie privée du chef de SS. On y découvre un Heinrich Himmler faible, paranoïaque et à la merci de la première personne venue. Comment un tel personnage, aurait-il pu être à la tête de la plus grande organisation meurtrière de masse? On est bien loin du personnage décrit par les historiens.
Le second problème de la vidéo est la confiance absolue en seulement deux sources qui finalement ne sont qu’une. Il faut saluer le travail de vulgarisation historique par de nombreux youtubeurs, mais cela doit passer par un minimum de travail en amont. Il est surprenant que pour un tel sujet, Fabien Olicard ne soit pas allé voir par exemple ce qu’il se disait dans d’autres pays sur le sujet. D’autant plus que sa chaîne et ses compétences personnelles portent sur les sciences et qu’il semble reconnu par des personnalités scientifiques sur ce sujet. Pourquoi ne pas avoir demandé les conseils d’un historien ou d’un autre youtuber historique, comme il fait appel à des scientifiques pour ses vidéos sur le cerveau humain. Le problème est que maintenant des centaines de milliers de personnes qui ont regardé sa vidéo voit en Félix Kersten un “nouveau Oskar Schindler”
Cela montre un problème plus global du public avec la méthode historique et aussi de comment certains « historiens » ne respectant pas eux-mêmes les règles de la méthode historique vue à l’université en licence font du mal à l’histoire et propagent des fakes. Car on ne peut que féliciter Fabien Olicard d’avoir voulu appuyer sa vidéo sur au moins un livre écrit par un historien. Le problème est que la biographie de François Kersaudy est plus que problématique.
Le titre déjà du livre de François Kersaudy est problématique, volonté de présenter son livre comme un équivalent du film La liste de Schindler. Est-ce un titre sérieux pour un livre d’histoire ? Kersaudy ne s’appuie principalement que sur le livre de Kessel et la biographie de Kersten. Il ignore l’ensemble de l’historiographie sur la Shoah et sur les SS qui a évolué depuis les années où il étudiait à la fac. Il prend tout pour argent comptant sans émettre aucune critique et ne prend pas au sérieux la recherche dans les autres pays. Quand on lit son livre, on est fasciné par les similitudes avec l’autobiographie de Felix Kersten. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir réédité le livre du masseur et ne pas l’avoir annoté avec ses remarques ?
Il semble en plus avoir une fascination pour les pseudo-sciences et passer un temps important du livre à défendre les pseudo-sciences. Oui, Kersten a surement œuvré pour des bonnes choses, mais seulement à la fin de la guerre, dans un double intérêt : celui de sauver sa peau, mais aussi d’aider son ami Himmler qui espérait avoir un rôle dans l’Allemagne des alliés et échapper à un jugement et à la peine de mort. L’interprétation et l’analyse de François Kersaudy ne prennent pas en compte tous les éléments pertinents dans la recherche existant actuellement sur Felix Kersten. Pour un historien de la Seconde Guerre mondiale, qui se dit spécialiste du nazisme, il semble peu au fait des avancées de l’historiographie sur le sujet. Est-ce sérieux de publier un livre sur un sujet aussi vaste en moins d’une année et en s’appuyant principalement sur des sources premières.
Conclusion
L’influence du livre de Joseph Kessel sur la vie de Felix Kersten, on peut le voir, garde une influence majeure dans la vision de ce personnage en France. Que ce soit la bande dessinée, la vidéo de vulgarisation YouTube et un historien populaire, tous se basent sur l’interview menée par le journaliste français sur Felix Kersten. Une influence qu’on peut mettre en comparaison avec celle du livre de Robert Merle sur La mort est mon métier, qui aujourd’hui encore définit pour de nombreux artistes leur vision de la vie à Auschwitz et du commandant du camp, Rudolf Hoss . Le dernier exemple en date étant la zone d’intérêt de Jonathan Glazer. Autre point commun entre les auteurs de BD, le YouTubeur et l’historien, la volonté de réhabiliter Felix Kerstner et de le présenter comme un Oskar Schindler oublié. Si l’argument de bonne foi et de volonté de vulgariser pour son public du YouTubeur peut être entendu, il l’est moins pour les deux autres parties. Dans la bande dessinée sur Felix Kersten en deux tomes, le personnage principal n’est pas le soigneur d’Himmler, mais un policier qui cherche à tout prix à réhabiliter ce dernier face aux mensonges qui sont colportés contre lui. Concernant le livre de François Kersaudy, c’est plus difficile de trancher : l’utilisation du titre La liste de Kersten pour renvoyer au film La liste de Schindler de Steven Spielberg de 1993 est clairement une volonté mercantile de l’éditeur, pas de l’historien. Mais quand on lit les différentes interviews données à la presse par François de Kersaudy et sa volonté de critiquer ses collègues et de réhabiliter Felix Kersten, on peut s’interroger. En outre, pendant une période particulière, celle du COVID-19, les « talents » de soigneur de Kersten sont mis en avant par François Kersaudy contre les échecs de la science à lutter contre cette pandémie.
Pour la science historique, il est aujourd’hui indéniable que oui, Kersten a participé à la fin de la Seconde Guerre mondiale à des opérations qui ont permis de sauver des vies. Faute de documents écrits, il est difficile de savoir quelle a été sa part dans ses opérations ou s’il n’était qu’un intermédiaire utilisé par Himmler pour se faire bien voir par les Alliés et ne pas être condamné à mort après la défaite de l’Allemagne nazie. Ce qu’on peut dire, c’est que la majorité des faits de résistance, de sauvetage de personnages qu’ils s’attribuent sont aujourd’hui démentis par les sources et les historiens. Felix Kersten n’a eu de cesse après la guerre de vouloir aider ses anciens amis du cercle d’Himmler pour leur éviter la prison, la mort et les réhabiliter. Malheureusement, parfois avec succès grâce au succès mondial du livre de Joseph Kessel. On ne peut pas dire s’il était simplement un opportuniste qui a vu dans son client Heinrich Himmler une possibilité d’étendre sa gloire ou un nazi convaincu qui au cœur de la machinerie de la solution finale a eu son mot à dire. L’histoire pour le moment ne tranche pas, personnellement, je pense que la vérité est entre les deux.
Pour finir, on peut souhaiter qu’un ouvrage d’un des historiens étrangers de référence sur Felix Kersten soit traduit en France, qu’un étudiant en histoire se lance dans une thèse ou qu’un ouvrage collectif soit fait sur les nazis ayant profité de l’après-guerre pour se donner une meilleure image.
Post scriptum ; il semble que Felix Kersten soit toujours décoré de la légion d’honneur, alors que son équivalent aux Pays-Bas lui a été retiré. Il serait peut-être bon de le retirer de la liste des décorés de la légion d’honneur.
Bibliographie:
«Baltische Historische Kommission ». Consulté le 29 mai 2024.
https://www.balt-hiko.de/
.
Fleckner, Uwe. « Le commerce de l’art moderne sous le Troisième Reich. Un marché douteux ». Archives Juives 50, no 1 (2017): 41‑59. https://doi.org/10.3917/aj.501.0041.
Fleming, Gerald. « Die Herkunft des “Bernadotte-Briefs” an Himmler vom 10. März 1945 ». Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte 26, no 4 (1978): 571‑600.
Himmler, 2010.
Himmler, Heinrich. Heinrich Himmler - Correspondência. Lisboa: bertrand, 2016.
Kersaudy François, La liste de Kersten, Livre de Poche, 2022.
Kessel, Joseph. Les mains du miracle. L’ Air du temps 125. Paris: Gallimard, 1960.
Neuß, Werner. Mörder, Mentor, Menschenfreund: Himmlers Leibarzt Felix Kersten - die Lösung eines Rätsels ; eine zeitgeschichtliche Erkundung. 2., erg. Aufl. Halle: Projekte-Verl. Cornelius, 2013.
https://www.spiegel.de/geschichte/himmlers-leibarzt-felix-kersten-a-947795.html
Wilhelm, Hans-Heinrich, et Louis de Jong. « Zwei Legenden aus dem Dritten Reich: Die Prognosen der Abteilung Fremde Heere Ost 1942-1945. Felix Kersten und die Niederlande. Quellenkritische Studien ». In Zwei Legenden aus dem Dritten Reich. Oldenbourg Wissenschaftsverlag, 2010.
Quel travail ! Merci de montrer ce que doit être un travail d'historien, c'est-à-dire la comparaison des sources ! C'est quand même la base... Quant à cette promotion des pseudo-sciences, c'est vraiment le mal du siècle, elles sont partout.
Un très bon article sérieux et bien documenté qui remet en perspective certaines idées sur ce personnage historique. J'ai vraiment aimé.